Plonger dans les collections de la Maison-atelier Foujita s’apparente à faire des sauts à travers les époques et les cultures. Avec ce curieux objet en forme de pipe, remontons à présent jusqu’au Japon médiéval !

Un kit d’écriture portatif

Léonard Foujita, en grand collectionneur, a parsemé sa maison Villebaclaise d’intrigants spécimens. Parmi eux se détache ce yatate, un set à calligraphie portatif japonais. L’existence des yatate est attestée depuis le XIIIème siècle (époque Kamamura, 1185-1333), ces objets traditionnels et emblématiques de la culture japonaise permettaient aux bushi, des guerriers gentilshommes, de voyager avec leur nécessaire à écriture sans s’encombrer d’une pierre à encre. Ils les rangeaient dans le fond de leur carquois, au milieu de leurs flèches : c’est ainsi qu’est né le terme « yatate », qui signifie littéralement support « ya » à flèches « tate ».

Le yatate a l’apparence d’un étui stylisé, généralement métallique. Pratique, il abrite différents outils indispensables à l’écriture : pinceaux, encre, et parfois même papier. Le compartiment cylindrique protégé par un couvercle et placé à une extrémité de l’objet tient le rôle de réservoir grâce à son coton imbibé d’encre, sumi en japonais.

L’étui allongé servant de fourreau pour de fins pinceaux à calligraphie (menso) peut aussi accueillir un coupe papier. L’objet est ainsi conçu pour le voyage puisqu’il possède cette capacité à rassembler différents outils en un, un vrai couteau suisse ! A la naissance de la réserve à encre se trouve un anneau : il servait à y glisser une chaine (netsuke) ou un cordon pour l’attacher à la ceinture.

Un savoir-faire artisanal

Ce yatate est daté du XIXème siècle (époque Edo, 1603-1867). Il peut facilement être rattaché à cette période grâce à sa forme en pipe. Les premiers yatate japonais ressemblaient à des éventails repliés : plus simple à glisser dans un carquois certes, mais possédant une faible capacité d’encre. Avec le temps et par nécessité, le réservoir pris une plus grande place sur l’extrémité de l’objet.

Autre indice : sa couleur. Véritables bijoux métallurgiques, les yatate sont habituellement réalisés en laiton ou cuivre. Celui de Foujita est cependant fabriqué à partir de cuivre et d’or. Cet alliage, appelé shakudo, servait initialement à décorer la garde des katanas, avant d’être utilisé sur les yatate particulièrement pendant l’époque Edo. Il est reconnaissable par sa patine noire-brune profonde et permet d’apporter à ces objets du quotidien une finition damasquinée.

Les décors qui se déploient gracieusement sur le métal peuvent être de sources diverses : motifs inspirés de la nature, de l’art ou de symboliques traditionnelles japonaises. Le yatate de Foujita porte ainsi des motifs filiformes et répétitifs : le décor floral en frise est gravé sur la partie supérieure de l’objet.

Ces décorations ajoutent une dimension artistique à l’ensemble, transformant le yatate en écrin voguant entre œuvre d’art et objet usuel.

Le Sumi-e

Si le yatate est devenu un objet incontournable du Japon, ce n’est pas tant lié à son usage qu’à la place que tient la calligraphie dans la culture japonaise.

Au Japon, la tradition veut que chaque lettré maitrise l’art de la calligraphie. Foujita, issu d’une famille de la noblesse japonaise, a acquis ce yatate pour ses créations après avoir étudié la calligraphie. L’objet est relativement bien conservé, et comprend encore le coton imbibé d’encre ainsi que deux menso.

Foujita utilisait une technique de calligraphie traditionnelle japonaise, le sumi-e, pour ses traits de contours.

Le sumi-e est une technique très ancienne développée en Chine, et introduite au Japon par des moines bouddhistes. Les menso de ce yatate lui étaient alors essentiels à la réalisation de ses dessins et œuvres à l’huile, puisque sumi-e signifie littéralement « peinture à l’encre » en japonais.

Les pinceaux utilisés, à base de poils d’animaux, sont pourvus d’une pointe très fine, mais plus ou moins rigide afin de varier les textures du trait. À la manière de l’aquarelle, cette technique permet des nuances de noir. Le secret de ces tonalités réside dans la quantité d’eau utilisée pour diluer le bâton d’encre solide, le sumi.

Ainsi, pour obtenir des effets de transparence et d’opacité, il faut faire varier le mélange encre-eau.

Ce bâton d’encre solide s’obtient par la combustion de diverses matières organiques, comme des résines, des fleurs ou des pépins. Les suies obtenues de ces combustions permettent l’apparition de différents noirs grâce à leur mélange avec une colle de peau animale appelée nikawa.

Subséquemment, le suzuri entre en jeu. Il s’agit d’une pierre à encre de texture poreuse, sur laquelle le bâton d’encre et l’eau vont être mélangés afin d’obtenir une substance homogène.

Le sumi-e valorise la maîtrise du trait, c’est un principe fondamental qui oblige à réaliser un tracé minimaliste. Foujita peignait ses contours à main levée, sans dessin sous-jacent et avec une précision indéfectible. L’artiste savait contrôler les pressions qu’il exerçait sur le pinceau, et obtenait ainsi des lignes plus ou moins fines ou épaisses. L’art du sumi-e est empreint de philosophie, et accorde autant d’importance aux éléments tracés qu’au vide qui les entoure : équilibre est le maître mot.

Crédits photos : © Laurence Godart 2013